Situé près de l’entrée principale du cimetière, le mur d’enclos ouest est couvert de panneaux de bois et de marbre, témoignages de l’hécatombe qui a endeuillé notre région, comme le sont les « mémoires », les drames rappelés par les vitraux des chapelles, les récits des naufrages dans les journaux, les revues et les romans.
Le mur des disparus en mer nous fait prendre conscience du tribut payé à la Grande Pêche, par les familles de marins de Ploubazlanec et des communes alentours.
Sur le premier panneau en marbre beige clair, on rappelle que dans toute la région, la pêche à la morue se pratiqua intensément à Islande de 1852 à 1935. Au moins 120 goélettes disparurent pendant ses sinistres années, dont 70 perdues corps et biens.
Un peu plus loin, un second panneau noir évoque aussi la mémoire des marins partis pêcher à Terre-Neuve, à Saint-Pierre-et-Miquelon et au Groenland, les graviers, les dorissiers, les marins enterrés en Islande et les goélettes dont les naufragés furent sauvés.
Vous pourrez découvrir dans le musée Mémoire d’Islande des journaux de bord et témoignages faisant état des conditions de vie terribles à bord, les hommes pêchaient parfois jusqu’à 16h d’affilées.
A l’arrivée début mars sur les côtes d’Islande, il fallait affronter les tempêtes de neige, les glaces flottantes en dérive et les ouragans. Ces dures conditions atmosphériques ont été à l’origine de nombreux naufrages.
Certaines familles de Ploubazlanec perdaient lors d’un même naufrage tous les fils de la famille, le père et le fils, l’oncle et le neveu… Comment alors faire le deuil lorsqu’on ne pouvait récupérer le corps du pêcheur disparu en mer ?
Dans la revue Le Petit Journal, datée de 1924, on pouvait déjà lire que le jour de la Toussaint, il est coutume pour ceux qui ont perdu un être cher, de déposer des fleurs sur sa tombe. Mais les tombes, les marins disparus en mer n’en ont pas. On ne les oublie point cependant. En Bretagne, une coutume pieuse veut que les mères ou veuves déposent au cimetière des menues boites de bois en forme de cercueil, des cénotaphes. Et c’est devant elles que les femmes en deuil vont s’agenouiller et déposer des fleurs. Les couronnes, les croix et les plaques commençant par «en mémoire de…» ou « à la mémoire de… », donnent une vraie forme à ces sépultures sans corps, appelées mémoires.
Le Mur des disparus en mer permet à cette pratique funéraire singulière de prendre place au sein même du cimetière de la commune.
Mais il a évolué au fil des années. A partir de 1859, chaque famille de disparu disposait d’un emplacement qu’elle pouvait aménager comme elle le voulait, y apposer des croix en bois, des couronnes décorées de fleurs, des panneaux en bois individuels avec le nom du disparu, le nom de son épouse, la date du naufrage, et le nom du bateau, cet espace devenait leur tombe. Les épouses, les mères s’agenouillaient devant ces pseudo-tombes, et se recueillaient en pensant aux êtres aimés qui ne reviendraient plus.
En 1939, la mairie veut agrandir le cimetière. Les familles récupèrent alors les mémoires, mais les travaux ne se font pas à cause de la seconde guerre mondiale.
Après la guerre, en 1947, on commence à chercher les noms des marins pour refaire des plaques commémoratives. Mais les familles, malgré la demande du maire et du recteur, ne rapportent pas toutes les mémoires. Certains sont déposés sous le porche de la chapelle de Perros-Hamon et y subsistent encore.
En 1952, se basant sur la liste des naufrages établie par Monseigneur Kerlévéo, la mairie fait installer des plaques noires uniformes, indiquant chronologiquement les naufrages de 1852 à 1913, avec leur nombre de morts. Deux d’entre elles sont visibles au musée Mémoire d’Islande.
En 1983, le Mur reçoit la visite de la Présidente de l’état Islandais Vidgis Finnbogadottir, qui rappelle les liens forts entre les deux pays.
En 1992, Louis Kermarec, un des derniers «Islandais» encore en vie, demande que la liste des goélettes naufragées soit complétée, ce qui est fait ; on restaure une partie des mémoires, en y ajoutant les naufrages de la période 1913-1935, permettant au Mur de couvrir les 83 années de la pêche à Islande.
Au fil du temps, quelques plaques individuelles peintes ou gravées ont été rajoutées par les familles. C’est le cas de la plaque en mémoire de Jacques Kerbiguet 48 ans et son fils jean 17 ans disparus en mer d’Islande en 1912, à bord de la Françoise.
Les adhérents de l’Association Pierre Loti à Paimpol et de l’Association Plaeraneg Gwechall, ont mené des recherches méticuleuses aux Archives de la Marine à Brest, passant en revue systématiquement les rôles d’équipage. Ils ont relevé les noms des marins du canton de Paimpol disparus en mer d’Islande.
A Ploubazlanec, 187 marins ont disparu dans ces eaux dangereuses .
Le Mur est quant à lui entretenu régulièrement par la mairie, avec l’aide de bénévoles.
Il faut longer le mur en pensant à ces disparus, et constater que certaines années furent dramatiques : 1873, 1878, 1901, 1905 et 1906.
Dans le livre Tonton Yves Souvenirs d’Islande, un fermier islandais raconte ainsi les naufrages survenus le jeudi 6 mars 1873 sur la côte Sud-Est de l’Islande, vers Stokksnes.
De la ferme, on voyait beaucoup de voiliers français qui venaient d’arriver en Islande. Eparpillés, ils pêchaient tous, à proximité de la côte et se laissaient dériver vers l’Ouest, le long de la côte, à cause du petit vent d’Est. L’après-midi, le vent passa au Sud-Est et la neige se mit à tomber ; tout s’obscurcit à tel point que toute la flottille disparut dans la neige. Juste avant minuit, une tempête de Sud se déchaîna, accompagnée d’une grosse pluie, il faisait tellement noir qu’on distinguait à peine le ciel et la terre, alors que la lune n’était qu’à son septième jour.
Le lendemain, quand les fermiers sortirent du lit. Ils virent un groupe d’hommes qui venaient à pied en direction de la ferme. C’étaient dix-huit naufragés d’une goélette française qui avait été jetée à la côte, durant la tempête nocturne.
Durant cette nuit de grande tempête de sud, quatre goélettes et un lougre avaient sombré.
Notre- Dame des Dunes de Paimpol, 23 disparus, Fleur de la Mer 3 disparus, Marie-Joséphine 20 disparus, Léonie-Clémentine 11 disparus et Quatre frères 12 disparus.
Tous les capitaines de ces bateaux périrent sauf celui de Fleur de la mer. Il réussit à venir vivant à la côte avec son équipage, après l’abandon de son bateau. Il dit que c’était la troisième fois que son bateau faisait naufrage. Il dit aussi qu’il n’avait ni femme ni enfant. Ayant ainsi parlé, il retourna à l’épave. Plus tard, ses matelots le trouvèrent mort sur le pont. Ce bateau était resté couché indemne, sur des rochers plats. Mais, à la marée montante, il commença à se disloquer et se brisa .
Lors des naufrages, il arrivait que les corps des marins jetés à la côte soient recueillis et enterrés sur place ou dans la localité la plus proche.
Lorsqu’il y avait un décès à bord la goélette relâchait pour débarquer et enterrer le pêcheur décédé.
A Reykjavick les pêcheurs français étaient enterrés dans l’ancien cimetière de Holavellir. Les tombes en mauvais état ont été remplacées par une stèle en granit sur laquelle un extrait du roman de Pierre Loti, Pêcheur d’Islande, a été gravé en français d’un côté et en islandais de l’autre. Sous les dalles tout autour de la stèle se trouvent les restes des pêcheurs français.
« Il ne revint jamais. Une nuit d’août, là-bas, au large de la sombre Islande, au milieu d’un grand bruit de fureur, avaient été célébrées ses noces avec la mer . » (Pierre LOTI)
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Article Rédigé par Elisabeth Viriot-Rouland, Georgette Le Saux et Nelly Souquet, (Association Plaeraneg Gwechall, mars 2024).
Bibliographie
Pêcheur d’Islande, Pierre Loti, 1886
Reproduction de cartes postales du mur des disparus en mer au début du siècle.
Le Petit Journal, 1924.
Paimpol au temps de l’Islande, Monseigneur Kerleveo, 1944
Tonton Yves Souvenirs d’Islande, Yves Lasbleiz, 1985
La Chapelle de Perros-Hamon, Louis Corouge, Août 1996.
Patrimoine.bzh, site internet de l’ inventaire général du patrimoine culturel de la Bretagne.
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